Ne souffrez plus : mourez !
EXIT (A.D.M.D. Suisse romande) pense que
tout adulte lucide, qui, après avoir tout essayé, estime que la vie lui est
devenue absolument insupportable, a le droit de prendre en charge sa mort et
d'y être aidé. […] Il s'agit de ne pas prolonger l'agonie et la souffrance,
jugées intolérables par la personne concernée et lui permettre de mourir
dignement et sereinement. […] Mettre en œuvre ce qui fait notre grandeur d'être
humain : prendre en charge les événements majeurs de notre existence et nous
comporter de façon responsable. C'est notre décision et il n'appartient à
personne de décider à notre place jusqu'où et jusqu'à quand nous devrons
souffrir.
Naturellement, personne ne peut décider
à la place d'un autre, ni la manière, ni le moment de sa mort. Il serait
d'ailleurs impensable d'oser délivrer quelque conseil que ce soit à ce sujet,
et pourtant … En regardant EXIT, le documentaire réalisé par Fernand Melgar en
2005, j'ai été frappée de constater mon grand désaccord avec cette pratique
protocolaire du suicide assisté. Les dernières images sont révoltantes. Un
“accompagnateur“ – et qui plus est, le Dr Jérôme Sobel, président de
l'association – à qui la future défunte a donné rendez-vous, accompagne la suicidée
jusqu'à la dernière minute. Et pour ainsi dire, c'est précisément parce qu'il
est présent dans ses derniers instants de vie, qu'il est en mesure de lui voler
sa propre mort : « Tout à l'heure, quand vous vous sentirez partir, après avoir
avalé la potion, pensez à un bon souvenir », lui glisse-t-il à l'oreille,
compatissant. De quel genre de mission cet homme est-il chargé ? Quel espèce de
“conseil de dernière minute“ est-ce là ? Jusqu'où va-t-il pour s'assurer de la
pleine sérénité de l'agonisante, pour forcer la dignité ? Dans quel but ?
Qu'est-ce que « notre grandeur d'être humain » ? Mourir gentiment, accompagné
d'une brochure "Dignité et fin de vie", ou d'un représentant de ce
que doit être une mort digne, est-ce se « comporter de façon [plus] responsable
» que d'avaler une tonne de médicaments ou d'utiliser la bonne vieille méthode
du revolver ?
EXIT (Association pour le Droit de
Mourir dans la Dignité), basée en Suisse romande, propose une mort douce et
placée sous le signe de la délivrance par absorption de pentobarbital, un
barbiturique qu'on a coutume d'appeler ici, dans le jargon de la délivrance : «
potion ». En offrant la possibilité à des personnes atteintes de maladies
incurables de s'auto-délivrer, EXIT prétend lutter pour « supprimer les
souffrances inutiles ». De l'inutilité des souffrances : voilà un très joli
sujet de société. A l'époque où “vie“ rime avec “bonheur en société“, 50 % de
la population mondiale doit avoir envie de s'auto-délivrer de ces carcans
uniformisants et inhumains. La souffrance, qu'elle soit physique ou psychique
et si intolérable qu'elle soit, est surmontable. On ne peut que la vivre, sans
nous, elle n'existe pas. C'est elle qui nous fait exister. Il me semble que le
combat dans lequel s'est lancé EXIT tend à faire disparaître la solitude plus
que la condition « indigne » dans laquelle la maladie peut jeter l'être humain.
C'est cette solitude, cette impuissance face à la douleur que l'on veut chasser
en avalant une gorgée de potion magique !
Pourquoi vouloir à tout prix se donner
les moyens de se « suicider sans violence » ? N'est-ce pas une façon de nier la
mort que de vouloir la contrôler ? « Nous constatons que c'est tuant de vouloir
mourir », clame gaiement une membre de l'association lors d'une assemblée. Elle
ne croit pas si bien dire : c'est tuant de pouvoir s' assurer de sa propre
mort. Le mystère de la condition humaine ne réside-t-il pas justement dans
l'incapacité que nous avons à mourir, et à regarder mourir les autres ?
Liens : http://www.exit-geneve.ch/
Référence : EXIT, documentaire de
Fernand Melgar, Climage Productions JMH, 2005, 76 minutes.